N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Seediq Bale » par Row-Long Chiu
Lors du festival de la bande dessinée d’Angoulême, en janvier 2012, Dominique Veret, à l’époque directeur de collection pour les éditions Delcourt, a pour la première fois aperçu l’œuvre de Row-Long Chiu. Dans la cour de l’hôtel de ville se tenait le pavillon taïwanais. Il s’y côtoyait des auteurs singeant les créations japonaises et d’autres biens plus ancrés dans la culture taïwanaise. « Seediq Bale » faisait partie de ces derniers. C’est la bande-annonce des films tirés de ce manhua qui a tout de suite attiré son œil : une débauche de violence où des hommes tatoués, au fin fond d’une forêt tropicale, se bâtaient pour la reconnaissance de leur légitimité territoriale et culturelle.
Loin des canons traditionnels de la bande dessinée asiatique, « Seediq Bale » est une vraie BD d’auteur. Elle va plus loin que la simple évocation d’un conflit, c’est avant tout un témoignage historique sur une partie jusqu’ici inconnue du passé de l’île de Taiwan. Annexé par les Japonais au début du vingtième siècle, ce grand bout de terre était encore habité par différentes tribus primitives, vivant en totale autarcie. Les Japonais ont voulu y imposer leur vision de la civilisation. Ils ont commencé, entre autres, par annexer les forets servant de lieux de chasse au peuple Seediq. Asservis, privés de leur principale source de nourriture, ils finirent par se révolter de manière extrêmement violente. Le Japon ne prit pas immédiatement les mesures qui s’imposaient pour mater la rébellion. Alors, ces autochtones ont continué à massacrer l’armée japonaise. L’ordre fut finalement donné de bombarder au gaz mortel les zones de repli des assaillants : ce qui était déjà contraire à toutes les conventions internationales en vigueur. Les Seediq finirent par être décimés. Puis, en 1945, le Japon perdit la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la culture Seediq revit et c’est en partie grâce au travail de Row-Long Chiu.
Cet auteur est reconnu comme l’un des experts de la culture Seediq. Une vocation arrivée par hasard, alors qu’il se promenait dans la région où se passent les événements qu’il raconte dans son livre. Il finit par se marier avec une femme de la tribu Seediq. Si « Seediq Bale » est son œuvre majeure, il a commencé sa carrière de dessinateur par des bandes humoristiques. Mais comme il excellait déjà dans un style réaliste à l’École des Beaux-Arts, il s’est plongé sans problème dans ce projet dont il n’imaginait aucunement l’envergure et les retombées possibles. C’est un album créé par petites touches successives, chapitre par chapitre, et cela se ressent parfois. Il y’a des répétitions, des retours et des sauts dans le temps. Mais, au final, c’est surtout un récit historique extrêmement bien documenté qui ressort de ce travail.
Row-Long Chiu a un trait spontané. Son graphisme est jeté, mais particulièrement clair. Même dans les scènes de combat, il arrive à mettre l’accent sur ce qui est visuellement important. Ses personnages sont bien typés, sans être caricaturaux. On sent la jeunesse ou la vieillesse de ses protagonistes qui vivent dans ses pages. Les décors ne sont pas oubliés. Il s’applique à représenter le plus fidèlement possible l’environnement montagneux du peuple Seediq. La forêt ayant une importance considérable dans leur croyance, pour eux leurs ancêtres viennent des arbres ; c’est donc avec respect et minutie qu’il la dessine. Même les maisons des Japonais, ainsi que leurs avions, sont parfaitement représentés. On sent bien le besoin de rendre compte des événements le plus fidèlement possible, quitte à passer des heures, voir des jours à se documenter.
Bien qu’il ne fasse plus de bande dessinée, Row Long Chiu n’est pas resté inactif depuis qu’il a terminé ce livre. Il participe aujourd’hui, avec sa femme, à la création d’ouvrages d’apprentissage et d’informations sur la culture Seediq. Il a également collaboré aux deux longs métrages adaptés de son œuvre et a lui-même filmé un reportage sur les Seediq.
Si le fond est particulièrement intéressant, la forme est elle extrêmement bien soignée. Couverture cartonnée avec reliure cousue. De nombreuses pages en couleurs au début et à la fin du recueil. Respect de la mise en page originale et lettrage adapté en fonction des passages narratifs ou informatifs. Un cahier explicatif d’une vingtaine de pages offre une vision complémentaire sur la vie Seediq : leur culture, ainsi que leur situation aujourd’hui. Il est aussi question de Row-Long Chiu, de sa vie, de son implication dans son travail, de ses projets et bien plus encore. Une mine d’information pour aller plus loin que la simple lecture d’une bande dessinée tout aussi divertissante qu’informative.
Pavé impressionnant de presque 300 pages, « Seediq Bale » se lit comme un roman historique illustré. Il n’y a pas de parti pris de la part de Row-Long Chiu, il y relate simplement les faits, aussi tragiques soient-ils. Une chose est sûre, on ressort bouleversé de cette lecture. Avec, en plus, une furieuse envie de dépaysement et de retour aux sources.
En faisant de « Seediq Bale » son premier roman graphique publié par Akata, sa toute jeune maison d’édition, Dominique Véret et son équipe ont indéniablement su rebondir positivement, suite au divorce avec les éditions Delcourt.
Gwenaël JACQUET
« Seediq Bale, les guerriers de l’Arc-en-Ciel » par Row-Long Chiu
Éditions Akata (23,50€) – ISBN : 9782369740001